Je termine cette rédaction essouflé. Fatigué. Tant d’efforts. Tant de réflexions, tant de textes. Tant de convictions maintes fois renouvelées. Si peu de résultats. Tout ça pour ça?
Je reste sur mon impression initiale que bien peu de choses ont bougé au Québec pendant tout ce temps. Trop peu pour l’énergie qu’on consacre collectivement à la politique, en tout cas.
J’ai toujours l’impression d’avoir traversé trente années d’un incessant va-et-vient entre l’optimisme et la déception, avec comme résultat un double constat d’immobilisme de la société québécoise et d’impasse de la dynamique politique.
Pourtant, après avoir écrit la première version de ce texte, en janvier dernier, j’ai voulu confronter ma perception à celle de mes amis Facebook (j’y étais encore!). Je leur ai posé cette question: «Quelles sont à votre avis les grandes réalisations du monde politique québécois depuis trente ans?» et j’ai obtenu quelques réponses intéressantes:
Les centres de la petite enfance et le régime d’assurance parentale;
L’assurance médicament;
L’interdiction du tabac dans les lieux publics;
La loi sur l’équité salariale;
Et quelques autres: la sortie du nucléaire, la reconnaissance des couples de même sexe, la déconfessionnalisation des commissions scolaires, la Paix des Braves, la politique nationale de l’eau, la loi sur le déficit zéro, et même le programme de crédits d’impôt pour l’industrie du jeu vidéo et le secteur numérique.
Il n’est donc pas tout à fait vrai que tout a été complètement immobile. Mais si même moi, qui ai toujours été particulièrement intéressé et attentif aux questions sociales et politiques, je reste avec une vive impression d’immobilisme et d’impasse, il doit bien y avoir une raison. Et je ne dois certainement pas être le seul.
Je fais aujourd’hui l’hypothèse que c’est notre pratique de la démocratie qui est à la source du problème (de ce que je perçois comme tel). En effet, notre pratique n’a presque pas changé, alors que tout le reste de nos interactions sociales a profondément changé, notamment à travers le développement des technologies. L’interaction est partout, simple, rapide, avec des rétroactions quasi instantanées. Dans ce contexte, une politique aussi lourde, lente, unidirectionnelle, fermée, et trop souvent basée sur les privilèges plutôt que sur la légitimité ne peut que paraître de plus en plus déconnectée de la réalité et inapte à répondre aux enjeux du moment. Je pense que c’est ça qui me tue.
Cela me fait croire que le Québec ne sera jamais un pays, que nous ne réformerons jamais vraiment nos institutions pour tenir compte de l’évolution technologique et de la mondialisation, que nous n’adapterons jamais notre système éducatif et que nous continuerons de fermer les yeux sur des défis environnementaux pressants — si on ne s’attaque pas préalablement à une profonde transformation de notre façon de pratiquer la démocratie et la politique.
Il me semble que s’il y a une chose que les trente dernières années démontrent bien, c’est que dans le contexte dans lequel nous sommes, gauche, droite, centre, fédéralisme ou indépendantisme (pressé ou constipé), cela aura bien peu d’importance si on ne redonne pas d’abord du pouvoir aux citoyens, au quotidien.
Et je me dis que c’est à ça qu’il va probablement falloir consacrer prioritairement nos énergies dans le prochain cycle de l’histoire du Québec — celui qui devrait commencer le 2 octobre.