Dans son dernier discours avant de laisser la présidence des États-Unis à Donald Trump, Barack Obama avait choisi de faire un vibrant plaidoyer pour l’optimisme et la confiance.
«… il faut choisir d’adopter une attitude optimiste devant la situation sociale et politique. Ne pas se laisser abattre, résister au cynisme.
Ça ne veut évidemment pas dire mettre des lunettes roses et se mettre à croire aux licornes — au contraire. Ce n’est pas nier la réalité. C’est, au contraire, un combat constant avec la réalité telle qu’elle se présente — telle qu’on tente de nous la présenter.
Ça commence par refuser l’idée “qu’on n’y peut rien”. C’est miser sur le fait qu’on peut avoir une influence sur la situation — que l’engagement n’est pas vain. C’est croire que l’innovation est une force positive. C’est réitérer tous les jours sa conviction que ça pourrait aller mieux demain.»
Mais la réalité m’a encore une fois rattrapé: quelques jours plus tard est survenu l’attentat à la grande mosquée de Québec. À dix minutes de marche de chez moi. Six morts, de nombreux blessés, une communauté dévastée et de très durs lendemains, dont il nous faudra encore des années pour nous remettre.
J’ai amorcé au même moment une réflexion sur la place que Facebook occupait dans la dynamique politique — et dans ma propre vie.
D’autres enjeux continuaient aussi d’éroder ma confiance envers la dynamique politique québécoise. Au sujet du numérique, notamment:
«Les effets du développement des technologies numériques deviennent de plus en plus évidents. De plus en plus envahissants, même. Les gens le sentent bien (…)
Quand tu crois que le monde politique ne comprend pas (pire: ne s’intéresse pas vraiment) à certaines des forces les plus puissantes qui transforment la société — pour le meilleur et pour le pire —, c’est un peu normal de perdre de l’intérêt.»
J’ai aussi souhaité qu’on aborde différemment les questions liées à l’identité québécoise:
«Je m’intéresse de moins en moins à savoir de quoi est faite l’identité québécoise aujourd’hui (ce qu’il faudrait défendre) qu’à savoir de quelle façon on souhaite qu’elle prenne forme dans le futur — et quels sont les projets qui nous permettront d’arriver à concrétiser cette vision.»
Le congrès national du Parti Québécois n’a pas ramené mon enthousiasme. Plusieurs des propositions qui me tenaient à cœur — sur l’éducation, l’environnement et sur les technologies — ont été adoptées, mais n’ont pas priorisées, faute de temps (!). Elles n’allaient donc pas se retrouver dans le programme du parti en prévision de la prochaine élection.
Le peu de place occupée par les personnes qui me semblaient les plus susceptibles de favoriser le renouvellement du parti au cours des débats m’a aussi beaucoup déçu.
Je suis reparti du congrès en me disant que la machine était devenue beaucoup trop lourde, contraignante, bureaucratique. Que ça n’avait plus aucun sens d’élaborer un programme de cette façon en 2017.
Le parti ne semblait décidément pas vouloir rompre avec la montréalisation de son discours et l’approche «mur à mur» qui l’accompagne trop souvent quand le moment vient de poser des gestes importants.
«Je crois que la dynamique politico-médiatique actuelle a pour effet de donner une importance démesurée aux enjeux montréalais dans l’actualité comme dans les priorités des partis politiques. Je pense que c’est une des raisons qui amènent beaucoup de monde à décrocher de la politique — qui la perçoivent de plus en plus comme étant détachée de leur réalité.»
J’ai alors commencé à penser qu’il fallait que je m’interroge sur les énergies que je consacrais à la politique partisane. Réflexion qui a rapidement été alimentée par un discours dans lequel le maire de New York, Michael Bloomberg, a affirmé que nous vivions dans une ère politique marquée par la paralysie partisane. J’ai écrit à ce sujet:
«Ça résume bien mon état d’esprit par les temps qui courent. Et mon inquiétude. Parce qu’il reste peu de temps pour trouver une issue à cette impasse d’ici les élections de 2018.
Une chose m’apparaît évidente: ce n’est pas dans une surenchère de partisanerie ou en polarisant inutilement les défis auxquels le Québec est confronté que nous allons pouvoir changer la dynamique politique actuelle.
Pour rester pertinents, les partis politiques vont devoir se renouveler — ou renouveler leurs façons d’agir.»
C’est un thème qu’Alec Castonguay avait également abordé quelques semaines auparavant dans un long article intitulé La fin des partis politiques?
Refusant de céder au cynisme, j’ai continué de me rendre chaque vendredi devant l’Assemblée nationale pour manger un sandwich en échangeant avec les quelques autres personnes qui partageaient les mêmes préoccupations. Une quarantaine de personnes ont participé à l’une ou l’autre des rencontres.
Après des vacances en Croatie qui m’ont fait réaliser à quel point la situation d’un pays peut changer du tout au tout en seulement quelques années (Zagreb, Dubrovnik — des noms de villes paisibles et touristiques que j’avais entendus pour la première fois en écoutant les correspondants de guerre à Radio-Canada), j’ai pris le temps de lire plusieurs textes qui exploraient d’autres formes politiques. J’ai relu le livre associé au film Demain et j’ai découvert une nouvelle forme de parti politique dans le nord de l’Europe.
J’ai aussi vu la pièce J’aime Hydro, de Christine Beaulieu, au Théâtre de la Bordée — et ça a été un déclic. La comédienne m’a fait réaliser que notre rapport à Hydro Québec, et à l’électricité en général, n’avait presque pas changé depuis quarante ans… malgré le fait qu’on soit en pleine révolution énergétique et écologique. Ça m’a semblé tout simplement incroyable. Une institution d’une telle importance, qui a été au cœur de la Révolution tranquille, à ce point figée dans le temps? Alors qu’on aurait tellement besoin d’une nouvelle Révolution tranquille?
Le problème était posé clairement, mais les médias ne s’y sont pas beaucoup intéressés, je trouve. Ils étaient trop occupés par un autre débat: la menace que le bonjour/hi fait peser sur l’avenir du Québec. Mais où donc est passée notre confiance en nous?
La présentation par le gouvernement d’une première stratégie nationale du numérique (enfin!), même très incomplète, aurait pu être l’occasion de susciter quelques débats, mais les médias n’y ont guère porté attention non plus. La démission du chef de police de Montréal et la possibilité que le procès de Nathalie Normandeau et ses coaccusés, dans les suites de la Commission Charbonneau, soit annulé occupaient toute leur l’attention. *soupir*
Le texte collectif que nous avons publié après le 52e rendez-vous sandwich — pour en finir avec le cynisme systémique — me semble toujours pertinent:
«Le Québec souffre d’un burnout politique. Un épuisement qui laisse beaucoup de monde désemparé devant une impasse sociale de plus en plus évidente. (…)
Il est urgent de comprendre pourquoi notre désabusement prend plus de place dans l’espace public que nos espoirs et les projets qui sont censés les incarner.
Autrement, le Québec court le risque de s’embourber de plus en plus profondément dans des débats qui n’ont rien à voir avec les défis réels auxquels nous sommes confrontés. La lassitude et le désengagement sont toxiques pour notre avenir. (…)
Cette année de rendez-vous aboutit sur le constat que la dynamique politique est dans une impasse partisane au Québec et que la manière dont les médias (et notre usage des médias sociaux) s’en font l’écho a pour effet d’empirer la situation. (…)
Vivement qu’on fasse de l’espace dans nos vies pour ces projets inspirants et que chacun d’entre nous puisse recommencer à se mobiliser POUR quelque chose plutôt qu’uniquement CONTRE quelque chose.»
Je me suis aussi rappelé un passage du livre qu’Alexandre Jardin a publié pour accompagner sa candidature à l’élection présidentielle française:
«Si dans un cauchemar vous êtes poursuivi par un monstre féroce, vous avez deux solutions pour vous en tirer: — courir vite ou se battre contre lui. Ça peut marcher; — vous réveiller! Ça marche à coup sûr.»
J’ai pris, peu de temps après, la décision de ne pas renouveler mes mandats de président du Parti Québécois de Jean-Talon et de président régional pour la Capitale-Nationale. Et de ne pas être candidat à la prochaine élection.
Et j’ai plongé dans les archives de mon blogue pour essayer comprendre comment j’en étais arrivé là.