J’ai évidemment passé le début de l’année à apprivoiser mon nouveau contexte professionnel.
L’ambiance politique n’était par ailleurs pas très bonne. Dans son dernier éditorial pour Le Devoir, Josée Boileau a écrit:
«Le Québec, donc? Il flotte. Tout léger dans le vent, faiblement rattaché à un ensemble canadien dont il ne se soucie guère et qui le lui rend bien (sauf si un pipeline est menacé!), il est au-dessus de son passé, par-delà sa pérennité, loin des malheurs du monde, désengagé. Béat au-dessus de lui-même. (…)
Il est question ici du Québec comme collectivité. Il ne manque pas d’individus qui font leur marque, ici et à l’étranger, ni de gens qui s’impliquent ou qui ont idée d’un monde meilleur. Mais comment l’addition de tant d’énergie s’inscrit-elle dans la prise de conscience que le Québec, comme entité, a de ses responsabilités envers lui-même et les autres? (…)
Il en reste pour croire qu’une telle conscience vient avec un pays. Mais il n’est plus en vogue de le dire: vieille idée tellement années 60, et qu’y gagnerions-nous, n’est-ce pas, nous qui vivons déjà si bien? (…)
Démonstration serait donc faite: la souveraineté n’a pas d’avenir et les Québécois sont las de ce débat. Oui, mais pas tous. Oui, mais l’envie de souveraineté n’est pas que jeu politique. Oui, mais la place du Québec, même au sein d’un espace fédéral, reste en suspens. Personne n’entend y remédier?
Alors flottons, et laissons les enjeux du siècle, ceux discutés partout — la sécurité, le déplacement des populations, l’environnement, l’après-pétrole —, nous échapper. Nous sommes repus, préservés, insouciants, bravo.»
Pourtant, je ne me suis pas découragé de la politique malgré les difficultés et les frustrations. À preuve, j’ai réagi ainsi au texte de Josée Boileau:
«Il y a des jours où la politique est infiniment déprimante. Ces jours-là, il ne faut surtout pas se laisser abattre. Il faut relever la tête, porter le regard à l’horizon. En profiter pour faire le point sur le projet de société qui nous anime.
Et se concentrer seulement sur le prochain geste à poser pour faire avancer la cause. Parce qu’au fond, y a que ça qui compte vraiment.»
À la une du Devoir le jour de mon anniversaire, on pouvait lire:
Le Québec désabusé de ses élus — La corruption gangrène une classe politique en qui personne n’a confiance
J’en ai profité pour écrire un texte dans lequel j’ai réfléchi aux raisons pour lesquelles je m’entêtais à rester optimiste:
«Mais pourquoi donc faire tout cela, si c’est au risque de perdre la confiance et le respect de mon entourage, des gens que j’aurai souhaité représenter à l’Assemblée nationale, comme de l’ensemble de la population? — comme le laisse croire l’article du Devoir? Ça apparaît normal de se poser la question. (…)
Je continue parce qu’il faut que des idéalistes continuent d’avoir le goût de s’engager en politique. Parce que si ceux et celles qui n’ont pas abandonné la part idéaliste de la politique renoncent à s’y engager, il ne faudra pas s’étonner d’être gouvernés par des opportunistes.»
À la même période, j’ai pris l’initiative d’adresser une note au directeur de cabinet de Pierre Karl Péladeau:
«La nomination d’une ministre responsable de la Stratégie numérique permettra [au gouvernement Couillard] de mettre l’accent sur un sujet auquel les nouvelles générations sont sensibles et d’occuper un espace politique actuellement disponible. (…) [or,] on ne peut pas dire que le programme du Parti Québécois soit très clair sur le sujet. Notre discours non plus, d’ailleurs. (…)
Il est important que nous adoptions toujours une perspective clairement positive par rapport au numérique.»
Cette note n’aura malheureusement pas vraiment de suite, ni avant ni après la démission inattendue de Pierre Karl Péladeau comme chef du Parti Québécois, le 2 mai.
Je ne me suis pas laissé abattre non plus par ce nouveau coup dur. J’ai rédigé dans les jours suivants quinze textes (!) très denses pour faire le point et inviter mon parti à se réinventer en profondeur.
J’ai notamment:
- diffusé mes réflexions sur le projet de société qui est porté par le Parti Québécois;
- fait le souhait que le parti fasse preuve de plus d’audace, en particulier dans quatre domaines:
- L’influence des technologies numériques sur l’avenir du Québec (et sur l’idée même de souveraineté nationale);
- L’identité québécoise, sa définition, la manière d’en assurer l’épanouissement;
- Le rôle de l’état, la nature et la forme de ses interventions;
- La refonte, en profondeur, de notre vie démocratique de manière à vaincre le fatalisme.
- J’ai aussi invité (à nouveau) le parti à innover dans le choix du processus pour choisir son nouveau chef.
En réaction à un de ces textes, un ami m’a dit quelque chose qui m’a semblé très juste — et qui résume encore très bien l’état de ma réflexion:
«Ce n’est pas la question nationale qui renouvellera la façon de faire de la politique, c’est une nouvelle façon de faire de la politique qui va renouveler la question nationale.»
Au même moment, l’auteur Yvon Rivard a publié un texte coup de poing dans Le Devoir, plaidant pour l’urgence de réenchanter la politique:
«La question que je me pose depuis des années et qui resurgit violemment ce matin est la suivante: comment se fait-il que le Québec des cinquante dernières années ait développé tant de compétences dans tous les domaines (artistiques, intellectuels, économiques, etc.), ait favorisé l’émergence d’une véritable conscience sociale, écologique, féministe, et que tout cela aboutisse à tant de médiocrité politique et morale?»
Ça m’a ramené encore une fois à l’esprit Le Québec me tue, et la désagréable impression de devoir donner raison à Helene Jutras, malgré mes efforts répétés pour la contredire. Et je me suis interrogé sur la perception que mes enfants de 18, 16 et 14 ans pouvaient bien avoir de la politique, eux qui n’auront même pas profité de quelques années d’optimisme, comme moi j’ai pu en profiter à leur âge, pour découvrir le monde politique. Mais je ne me suis pas laissé abattre… puisqu’il faudrait bien finir par vaincre le fatalisme.
Cette réflexion m’a même convaincu d’appuyer rapidement la candidature de Véronique Hivon, parce que j’étais convaincu qu’elle était la plus apte à amener ce changement de culture politique:
«Je pense qu’on n’arrivera jamais à faire du Québec un pays si les citoyens n’ont pas, individuellement et collectivement, une beaucoup plus grande confiance en eux. Et pour ça, je pense qu’il est indispensable de changer notre culture politique. Je pense que ce sont les mécanismes politiques autour desquels s’articulent nos débats qui constituent les plus grands obstacles à l’indépendance du Québec.»
Malheureusement, Véronique a dû se retirer de la course quelques semaines plus tard pour des raisons de santé.
Alors, sur la base de la même réflexion, j’ai accordé mon appui à Paul Saint-Pierre-Plamondon, comme premier choix, et à Jean-François Lisée, comme deuxième choix.
Au terme d’une campagne difficile, qui m’a maintes fois exaspéré, Jean-François Lisée a été élu, au deuxième tour, après le report des voix de PSPP.
J’étais content du résultat, mais quelque chose était sur le point de casser dans mon rapport au monde politique.
Le coup de grâce est arrivé au début novembre.
Le 3 novembre, l’émission Enquête diffuse un extrait de son émission du 5 novembre, dans laquelle elle dévoile un scandale impliquant la Société immobilière du Québec. Dans l’extrait présenté, l’ex-vice-première ministre Monique Jérôme-Forget tient des propos incroyablement méprisants pour les gens qui acceptent de consacrer bénévolement du temps aux institutions publiques — comme je le fais comme membre du Conseil consultatif sur la lecture et le livre et comme membre du conseil d’administration du Conseil des arts et des lettres du Québec. J’ai été écœuré!
«J’ai besoin de crier haut et fort qu’y a toujours ben un boutte à toutte. Et que là, franchement, ça suffit! Oui, ce qui suit est un coup de gueule et je l’assume.
Je trouve qu’on a franchi avec cette vidéo un nouveau seuil dans le mépris. Le seuil de l’inacceptable. J’ai du mal à m’en remettre. C’est comme si ça faisait remonter à la surface trop de choses que j’ai acceptées, avec plus ou moins de résignation, au cours des dernières années — trop de choses autour des commissions Gomery, Bastarach, Charbonneau, entre autres: le spectacle du mépris et de l’impunité, un jour à la fois, jusqu’à l’insensibilité.
Là, ça va faire!»
Le 5 novembre, après avoir regardé l’émission complète, j’ai écrit:
«J’ai regardé Enquête avec ma fille de quatorze ans. Elle avait manifestement peine à croire l’ampleur de ce qu’elle découvrait — et particulièrement la malhonnêteté de toutes ces personnes qui abusaient effrontément de notre confiance (…) C’était clairement un choc pour elle de réaliser que de telles magouilles peuvent exister ici, dans son pays, dans sa ville. Je n’en étais que plus dégoûté.
En éteignant la télévision, j’ai dit en boutade à ma fille: “Je pense que je vais aller manger mon sandwich devant l’Assemblée nationale demain midi pour protester”. Je l’ai aussitôt entendu répondre: “Go! Fais-le!” Il fallait donc que je le fasse. Je l’ai écrit sur Facebook.»
Résultat, nous étions quatre devant l’Assemblée nationale. Fâchés, mais souriant. Il faisait beau. On a jasé calmement, sandwich à la main. Et à 12h30, on s’est dit à la semaine prochaine, en espérant que ça devienne un rendez-vous hebdomadaire, purement citoyen, sans discours ni porte-parole.
«On tourne la page sur une semaine qui a été très dure pour le moral. J’espère qu’on pourra dire dans quelques années que c’est au cours de celle-ci qu’on a finalement touché le fond du baril. Parce que le moment est clairement venu de se donner un swing dans le fond pour enfin commencer à remonter. Naïf? Peut-être. J’espère que non.»
Trois jours plus tard, Donald Trump a été élu président des États-Unis d’Amérique. J’y ai vu un (autre) sérieux wake up call pour la démocratie québécoise.
C’est aussi le point de vue qu’Alexandre Taillefer a développé quelques jours plus tard à l’occasion d’une excellente conférence qu’il a prononcée devant la Corporation de développement économique communautaire de Québec. Une conférence pendant laquelle j’ai trouvé qu’il avait tout de même fait preuve d’une certaine complaisance à l’égard de Philippe Couillard et du Parti Libéral. Je lui en avais d’ailleurs gentiment fait le commentaire.
Gentilhomme, Alexandre Taillefer avait rapidement répondu à mon commentaire, et nous avons poursuivi quelques échanges constructifs et stimulants depuis ce temps.