De grands groupes d’édition espagnols ont à leur tour adopté notre plateforme de distribution de livres numériques. On continuait à avancer, et encore plus rapidement que prévu! Je voyageais donc de plus en plus souvent.
J’ai aussi présenté un mémoire à l’occasion d’une commission parlementaire où j’ai notamment abordé l’impact du numérique sur le marché du livre.
Mais c’est surtout l’année calamiteuse de la Charte des valeurs.
Le gouvernement de Pauline Marois n’a pas fait que ça, bien sûr, mais il faut quand même admettre qu’aussitôt déposé, le projet de Charte des valeurs a complètement monopolisé l’espace public… au-delà de tout entendement et au plus grand plaisir des médias, qui se régalaient de tous les excès plutôt que de contribuer à calmer le jeu pour permettre à la raison de se manifester.
Ça m’a inspiré une réflexion sur le rôle du temps dans les débats sociaux:
«Il y a quatre jours (eh oui… seulement quatre jours!), le ministre responsable des institutions démocratiques a présenté un projet de Charte des valeurs québécoises. L’espace médiatique s’est instantanément embrasé — et les réseaux sociaux avec lui (si ces deux espaces existent encore distinctement l’un de l’autre, mais c’est un autre sujet).
Quatre jours ont suffi pour qu’on perde collectivement toute capacité de débattre convenablement (du moins en apparence). Les excès se sont multipliés, les échanges se sont polarisés, les nuances ont été pratiquement évacuées de l’espace médiatique. (…)
La démocratie se porterait beaucoup mieux si plus d’élus prenaient le temps/avaient pris le temps de tenir un blogue au cours des dernières années — et si on avait accès à ces écrits pour interpréter les positions qu’ils défendent aujourd’hui.
Tout ce qui peut désamorcer notre appétit pour l’instantanéité me semble plus essentiel que jamais. Tout ce qui peut introduire un peu de temps dans l’exercice du débat devrait être favorisé — parce que c’est ce qui nous offre le meilleur rempart contre les débordements auxquels nous assistons malheureusement depuis quelques jours.»
Après la rencontre des parents de la rentrée scolaire, à l’école primaire, j’ai aussi écrit:
«Ce soir, j’ai eu le goût de dire aux parents immigrants, et en particulier à ceux qui portaient des signes religieux visibles, qu’ils sont bienvenus dans notre quartier et que j’apprécie leur participation à la vie de cette école où nos enfants inventent, ensemble, le Québec de demain.
J’ai eu envie de leur dire de ne pas accorder d’importance aux réactions excessives dont les médias se sont fait l’écho depuis quelques jours. J’ai eu envie de leur dire que les polémistes allaient bien finir par s’épuiser, que la raison allait bientôt reprendre ses droits et que nous pourrions commencer à discuter sereinement des règles qui nous permettront de bien vivre ensemble, à long terme, dans le respect des valeurs de chacun.»
Malheureusement, ce n’est pas ça qui est arrivé. La polarisation a continué et on patauge encore dans ce débat cinq ans plus tard (et on retombe de plus en plus souvent dans le piège des controverses instantanées).
2013, c’est aussi l’année de la catastrophe de Lac-Mégantic — qui m’est apparue comme un puissant symbole de la déréglementation et du renoncement de l’État devant la sécurité publique. Autre occasion de réfléchir sur l’importance du temps et sur notre responsabilité devant pareille catastrophe:
«Il faut admettre que nos comportements ne sont pas étrangers aux conditions qui nous ont amenés là. On veut de l’essence à bas prix, des produits de consommation pas chers — et pouvoir les renouveler sans cesse en fonction des tendances de la mode. On voudrait aussi que les gouvernements soient de plus en plus lean; qu’ils nous taxent et nous imposent le moins possible, quitte à ce qu’ils n’aient plus les moyens d’agir. Parce qu’on nous a convaincus que l’intervention de l’État, c’est toujours trop lent, donc inefficace. Il faut aller plus vite et, pour ça, déréglementer, le plus possible, parce que le rythme est devenu l’ultime mesure de l’efficacité.
Je décroche. Il faut ralentir. Prendre le temps de réfléchir.»
Je me suis également réjoui de lire, en octobre, dans Le Soleil, deux textes de François Bourque dans lesquels il proposait à son tour le développement d’un bureau des temps, «pour mieux organiser le temps à Québec». Dix ans après François Cardinal… peut-être que l’idée ferait enfin son chemin? Eh bien non… cinq ans plus tard, toujours rien.
En vacances à New York avec les enfants, nous avons croisé John Kerry devant l’Organisation des Nations Unies.
Qui aurait alors cru que Béatrice, qui avait alors 15 ans, allait quelques années plus tard aller à New York, autonome, pour représenter l’Inde dans une simulation des Nations Unies?