On a commencé à parler du mystère Québec. On disait que la Capitale-Nationale avait un comportement politique incompréhensible.
Pauline Marois, qui est alors simple députée, demande à ses collaborateurs de réunir une dizaine de jeunes de la région de Québec pour essayer de comprendre. J’ai eu la chance de faire partie du groupe.
Je garde un fort souvenir de cette rencontre parce que j’ai été très impressionné par la manière dont Mme Marois a mené cette discussion, laissant chacun parler, ne négligeant aucune piste, forçant chacun à aller au bout de ses idées.
Malgré cette attitude initiale de curiosité et d’ouverture de Mme Marois, le mystère Québec allait devenir, pour les dix années suivantes (et même jusqu’à aujourd’hui) l’explication commode utilisée par plusieurs partis politiques, dont le Parti Québécois, pour éviter de se remettre en question.
Après une crise au parlement d’Ottawa au cours de laquelle le niveau de partisannerie m’avait exaspéré, j’ai rédigé l’ébauche d’un manifeste destiné à réformer nos façons de faire de la politique. J’y proposais dix engagements destinés à:
«… maintenir un contact permanent avec les électeurs, rejeter la critique au profit de la pédagogie et miser sur le dialogue au lieu de la confrontation, reconnaître le devoir d’exprimer clairement ses opinions, justifier ses changements de position et favoriser l’avènement du “journalisme citoyen” dont l’influence est nécessaire pour faire contrepoids aux médias de masse.»
Plusieurs de mes lecteurs m’ont alors dit que les dix engagements proposés n’étaient pas réalistes. Je pense, au contraire, qu’ils sont plus que jamais nécessaires.
Début juin, Bernard Landry, alors chef du Parti Québécois, démissionne sur un coup de tête. J’accepte de me joindre à l’équipe de Pauline Marois, qui souhaite devenir chef à son tour. Je plaide pour une campagne où la communication prendrait forme autour d’un blogue, de manière à favoriser le dialogue avec les membres du Parti Québécois et l’ensemble des citoyens. J’y suis arrivé, mais l’expérience a été difficile.
Je n’ai malheureusement pas vécu la fin de la course à la chefferie (remportée par André Boisclair) parce que j’ai entre-temps accepté une proposition pour occuper un emploi en France. En quelques semaines, j’ai quitté ma deuxième entreprise, nous avons vendu notre maison et nous avons installé la famille à Paris.
C’est de là que j’ai pris connaissance du manifeste Pour un Québec lucide, porté par Lucien Bouchard, et de la réplique, quelques jours plus tard, intitulée Pour un Québec solidaire, du groupe dirigé par Françoise David.
Observant la polémique d’un regard distant, j’ai publié le 12 novembre un texte dans lequel je déplorais la langue de bois dans laquelle s’était enfermée la politique québécoise et l’absence d’intérêt des hommes et des femmes politiques pour l’impact du développement d’Internet sur la démocratie.
« [J’ai la perception que] la politique québécoise [est désarmée]. Effet de distance? Peut-être. Mais je lis, je relis, j’écoute… et je ne comprends pas. Tellement de mots pour si peu d’idées. Sur la scène municipale. Sur la scène québécoise, sur la scène canadienne, c’est presque partout pareil. On vit une élection; on termine une campagne à l’investiture; on menace d’une élection… mais pour quelles idées tout ça dites-moi? (…) Et ce n’est pas que la faute des politiciens! C’est celle des journalistes aussi. Et des chroniqueurs politiques. D’un peu tout le monde d’ailleurs! (…)
[or] les usages qui se développent autour des nouveaux modes de communication sont vraiment à la source d’une véritable révolution — parce que l’information ne sera jamais plus contrôlée uniquement par les médias et les pouvoirs publics.
Le monde change. Profondément. Les mouvements sociaux ne seront plus jamais pareils. La politique aussi doit s’adapter en conséquence. Malheureusement, aucun signe ne m’indique que les hommes et les femmes politiques se préoccupent actuellement de cette question. Je ne suis même pas certain qu’ils réalisent à quel point les fondements mêmes de leur pouvoir sont en train d’être minés par leur refus de voir.»